Le tavernier

Le tavernier

Sa taverne était sur la rue des grands magasins. Pendant que les femmes magasinaient chez Pollack, Paquet, Laliberté, au Syndicat de Québec…, les hommes, qui n’aimaient pas plus magasiner qu’aujourd’hui, attendaient leur femme à la taverne. Dans les années 50, la basse-ville et la haute-ville de Québec en comptaient une quarantaine et le quartier Saint-Roch était surnommé le « quartier des tavernes ».

Le tenancier y a eu pignon sur rue pendant plus de quarante ans, soit jusqu’au milieu des années 60. Il avait d’abord fait le ménage des voyous, des malotrus et des trouble-fêtes. Par la suite, il a travaillé fort pour les tenir loin des portes d’entrée de son établissement. Deux portes en forme de tonnelles donnaient sur la rue Saint-Joseph et une troisième, sur la rue Saint-Francois.

Le tavernier ne prenait pas une goutte d’alcool. Il gardait la tête froide en tout temps et ne confiait son commerce aux employés que le temps d’un repas. Tous les jours, il montait à l’étage de son immeuble où il habitait pour se sustenter et y trouver un peu de calme.

Il a protégé sa famille de tout ce qui se passait en bas. De toute façon, ce qui se dit dans une taverne reste dans la taverne. Oh que oui! Le tavernier en a vu et entendu des vertes et des pas mûres.

Mais, nous, nous en savions peu de choses. Toutefois, le dimanche, il nous permettait d’y entrer pour aller jouer.

Que j’aimais ce lieu exclusif et sombre! Que j’aimais humer l’odeur du cigare et du tabac à pipe imprégnée dans les boiseries, courir sur le plancher en terrazzo et me faufiler entre les tables sur lesquelles reposaient, à l’envers, les jolies chaises de taverne! Que j’aimais la machine à distribuer les « peanuts »! Mais, quelle horreur, l’énorme pot de langues de porc dans le vinaigre qui trônait sur le bout du comptoir!

Pendant le repas dominical, assis sur sa chaise capitaine au bout de la table, le tavernier était peu bavard. Toutefois, après le repas, lui, assis dans son fauteuil au salon, et nous, les cinq petits-enfants, serrés les uns contre les autres sur le divan, nous attendions, le corps raide et les oreilles molles, qu’il nous raconte des histoires du passé.

Malgré un ton de voix peu audible et un rythme au ralenti, il était bon raconteur. Il puisait ses anecdotes, soit dans les années où il avait travaillé au chemin de fer et sur les fermes aux États-Unis, soit dans ses séjours à son club de pêche.

Curieusement, je ne me souviens pas de l’avoir vu ou entendu rire. Pas même un sourire. Je me souviens de lui comme d’un homme calme et sérieux, pas sévère ni autoritaire. Toutefois, sa présence et sa prestance suffisaient à nous faire tenir tranquilles.

Nicole Paquet, une petite-fille du tavernier.

Le tavernier, fusain 28 X 36 cm, 2017

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